Partir un jour, revenir en chantant

Partir un jour © Topshot Films/Les Films du Worso

Mardi dernier, le 78e Festival de Cannes a débuté avec la projection de Partir un jour, le premier long métrage d’Amélie Bonnin. J’aimerais vous dire que je l’ai vu à cette occasion, après avoir monté les marches du red carpet… mais ce n’est absolument pas le cas. Qu’est-ce que Cannes, à côté de l’UGC Les Halles, finalement ?

Quoi qu’il en soit, ce film musical doux-amer, porté par Juliette Armanet et Bastien Bouillon, prolonge le court-métrage éponyme de 2021. Tous deux racontent un retour au pays et une tentative de renouer sans vraiment savoir comment, sur fond de tubes inavouables, mais inoubliables, des années 90/2000. Fredonnés par les acteur.ices, ils rappellent qu’il y a des choses qu’on ne peut pas dire… mais hé, on peut les chanter.

Ce film m’a touchée, en particulier pour le lien qu’il crée entre musique populaire et mémoire collective. Ces refrains un peu kitsch, qu’on connaît par cœur sans avoir jamais cherché à les apprendre, ressurgissent comme des madeleines fourrées à la nostalgie, aux souvenirs, et à plein d’autres sentiments.

Revenir, c’est se confronter

Cécile revient dans sa ville natale après l’infarctus de son père. Cheffe à Paris, elle se retrouve à donner des coups de main dans la cuisine de L’Escale, le bistrot routier familial. Autant dire qu’on est loin des dressages millimétrés de son futur restaurant gastronomique – et encore plus loin de Top Chef, émission qu’elle a gagné. D’un côté, la capitale et ses assiettes-signature ; de l’autre, son village d’enfance, avec ses frites/plats en sauce… et ses silences lourds. Enceinte de son compagnon Sofiane, Cécile retrouve Raphaël, son crush d’adolescence - avec qui il ne s’est cependant pas passé grand chose. 

Si c’est le point de départ du film, ce sera un prétexte pour explorer des thèmes plus vastes : celui de la mémoire, des tensions familiales, du tiraillement intérieur et de la rencontre amoureuse à contretemps. On découvre également que revenir est une confrontation brutale, entre ce qu’on est devenu.e et ce qu’on a laissé en plan.

Le film aborde aussi la question des changements de classe sociale. Cécile a “réussi", selon les normes de notre société. Elle a quitté son milieu d’origine pour un autre, plus valorisé socialement. Mais à quel prix ? Cette mobilité, la plupart du temps présentée par notre société comme un idéal méritocratique, a un coût invisible : celui d’un déracinement affectif et identitaire. Cécile n’est plus tout à fait “d’ici”, ni vraiment de “là-bas”. Elle est donc forcée d’évoluer dans un entre-deux bancal, où les efforts sont mal compris, où les liens se tendent, où ce qui semblait acquis - comme la reconnaissance, le respect, l’amour - semble subitement vachement moins l’être.

Les chansons comme des journaux intimes

Là-dedans, les chansons sont le fil narratif, affectif, temporel. Un trajet en camion avec les 2Be3 devient un karaoké. On chante K. Maro sur une patinoire et Paroles, paroles en fumant une clope avec des envies d’ailleurs plein la tête. Y’a pas à dire, pour celleux comme moi qui aiment les blind tests et les karaokés, ce film n’est ni plus ni moins qu’un trésor, pendant lequel on rit, on s’émeut. On chiale fort parfois. 

La chose la plus forte que provoque ce film, c’est de nous rappeler que la mémoire passe par des mots qu’on a tou.te.s entendus mille fois à la radio, en faisant nos courses, en boite de nuit... bref, partout. En misant sur ces tubes pop pleins de souvenirs, le film assume avec tendresse et ironie son côté kitsch générationnel universel. Il joue à fond avec nos petits plaisirs coupables, nos refrains honteux. 

Partir un jour © Topshot Films/Les Films du Worso

La plupart des chansons utilisées dans le film déclenchent soit une émotion, une image ou un fort souvenir : une boum de primaire, des trajets en voiture à chanter à tue-tête, un cœur brisé adolescent. Elles agissent comme des boussoles affectives, avec, ma foi, des indications approximatives, mais qu’importe.

Après, il y a ce petit laps de temps, un mélange de gêne et de petite jalousie, quand iels se mettent à chanter. Quand Juliette Armanet s’est mise à citer Axelle Red comme ça, à la débottée, j’avoue, j’ai eu un petit moment de malaise. Et en même temps, j’adorerais pouvoir envoyer Sensualité par texto, comme ça, sans avoir peur d’avoir l’air cringe. D’ailleurs, dans ma tête, la même chose peut se produire parfois : une chanson démarre, et tout devient clip. Tout le monde connaît les paroles, les regards sont pleins de sens. Céline Dion est présente, évidemment. 

Réenchanter l’ordinaire

Une autre belle réussite de Partir un jour, c’est également son pouvoir de réconfort, son côté feel good sans chichi. Film de détails et de petits riens qui comptent, il réussit à faire vibrer le quotidien, à mettre de la chaleur dans les gestes simples, comme ceux qu’on fait en cuisinant, machinalement. Comme pour beaucoup de comédies musicales, vous allez sans doute me dire, mais dans ce cas précis, est-ce pour repousser les silences ou se donner du courage ? Probablement un peu les deux, mais j’adore cette capacité à faire vibrer à 300V le banal et à insuffler du sensible dans l’ordinaire.

Les personnages ne sont de toute manière pas là pour tout conquérir, mais pour réparer doucement, recoller comme iels peuvent ce qui peut l’être. Iels essaient de se retrouver, de dire ce qui n’a jamais été dit. L’âge un peu indéterminé de Cécile et Raphael - ont-ils la fin de la trentaine ? Le début de la quarantaine ? - importe peu. Iels ne sont plus vraiment jeunes, pas encore vieux mais ont cette tendresse pour les maladresses, cette manière de montrer qu’il n’est jamais trop tard pour créer du lien, même en chantant faux, même sur du Stromae.

Dans la manière que le film a de capter les silences, les gestes minuscules et les émotions retenues, Partir un jour m’a un peu fait penser à Normal People. Je sais qu’ils sont différents dans leurs registres mais, dans les deux médias, il y a la même attention au non-dit, à ce genre de vague à l'âme doux qui flotte entre les personnages principaux. 

Et puis, cette façon si particulière qu’a ce film de faire exister la musique m’a rappelé High Fidelity. Cette série rendait hommage à cette vie musicale intérieure qu’on porte en soi, celle où l’émotion surgit n’importe où : dans une boutique de disques, au détour d’un trottoir, ou au creux d’un morceau de Blondie ou Marvin Gaye. Mais là où High Fidelity s’appuyait sur des références anglo-saxonnes pour structurer le chaos sentimental de son héroïne (incarnée par Zoë Kravitz), Partir un jour choisit des tubes désuets qui résonnent avec notre mémoire collective.

C’est sans doute pour une raison similaire que Billy CrawfordLorie et les Tokio Hotel refont des tournées, qui sait !? 

High Fidelity © Hulu

Au final, ce film m’a confortée dans une idée toute bête, mais essentielle, dont je suis persuadée depuis très longtemps : la musique, c’est GÉNIAL. Rien que pour ça, merci Partir un jour

Si ce film était sur ma vie, sur un éventuel retour en Haute-Savoie, j’aurais probablement ajouté Que la montagne est belle pour saluer la tendresse que j’ai retrouvée pour cette région que j’ai voulu fuir plus jeune. Pourquoi pas aussi Là-bas de Jean-Jacques Goldman & Sirima et Le chemin de Kyo & Sita. Et au moins un ou deux Disney. 

Peut-être que ce sera pour Partir un jour 2, qui sait ? Je ne suis pas sure que ce sera bien passionnant, mais Amélie Bonnin, si tu m’entends.

… sans retouuuur, effacer notre amouuuur, sans se retourner. Ne pas regretter. Garder les instants qu'on aaa volés…

Au fait, j’ai créé une playlist avec mes récents coups de cœur, elle est dispo juste ici. N’hésitez pas à me partager les vôtres dans les commentaires. ❤️

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