High Fidelity : bande-son d’une génération en quête de sens

Quand la musique recolle les morceaux

High Fidelity © HULU

High Fidelity © HULU

C’est assez fou. J’ai ouvert ce blog le 5 août 2023, un peu à l’aveugle, avec le désir d’écrire ce que j’avais dans la tête et sur le cœur... et aujourd'hui, vous êtes en train d’en lire le 40e article. Quarante. Dites-moi aussi, que vous aussi, vous trouvez ça dingue. 

Pour l’occasion, j’ai une petite envie de sortir le champagne et de parler d’une série qui, j’ai l’impression, me ressemble un peu, me connaît, m’émeut et me serre : High Fidelity

Le sujet de cette dernière ? La musique, avec des classements - entre autres de chansons - comme des tentatives de comprendre pourquoi on saigne, pourquoi on aime, pourquoi on revient. Une série qui suit un personnage principal profondément humain, plein de contradictions, imparfait, maladroit, attachant et passionné. Sous les traits de Zoë Kravitz, c’est une jeune femme drôle, désabusée, qui fait des erreurs et est marquée par ses échecs amoureux. Âgée de trente ans, elle représente toute une génération qui cherche l’amour, ou plus généralement se cherche, sans trop savoir comment s’y prendre.

En gros, et sans vouloir tirer la couette à moi, écrire sur High Fidelity pour ce quarantième article, c’est ni plus ni moins qu’une sorte de déclaration d’amour un peu bordélique à la musique.

La difficulté  de  passer à autre chose

Dans High Fidelity, adaptation du roman de Nick Hornby, Rob est disquaire à Brooklyn. Lorsque le premier épisode commence, son “futur-ex” Mac la quitte. Alors, elle fixe la caméra et se met à faire quelque chose qu’elle semble plutôt bien maitriser : un Top 5, ici de ses ruptures les plus douloureuses, comme si classer la douleur permettait de l’apprivoiser. Elle nous annonce ensuite son but. Elle veut comprendre, à chaque histoire, pourquoi ça n’a pas marché

On suit alors ses va-et-vient émotionnels, ses souvenirs, ses erreurs, ses amours ratés... et son lien avec Mac, qui est à la fois intense, flou et complexe. Leur relation, marquée par une attirance physique et une véritable alchimie, oscille entre passé, dans des flashbacks, et présent, dans des interactions nocturnes. Le fait qu’elle le croise à chaque fois à ce moment-là de la journée nous indique que leur histoire appartient à un ailleurs, une zone trouble, qui n’a pas littéralement plus la lumière du jour. Ces retrouvailles ponctuelles agissent finalement comme des rappels que certaines histoires mettent malheureusement du temps à s’effacer.

À l’inverse, dans les souvenirs qu’elle revisite, du temps où elle était avec lui, Rob semble plus sûre d’elle. Les gestes sont plus tendres, les moments presque parfaits, comme figés dans une bulle hors du réel. Les morceaux qui accompagnent ces scènes sont d’ailleurs souvent des chansons douces, qui participent à créer une atmosphère jolie et intense. 

Clairement, c’est l’image idéalisée d’un bonheur perdu, parce qu’elle réalise tout de même qu’iels ne peuvent plus être ensemble. 

Flashback de Mac et Rob © HULU

Flashback de Mac et Rob © HULU

Le positif là-dedans, c’est qu’à chaque rencontre, Rob mesure le chemin parcouru et les réconciliations qu’elle opère avec elle-même. Et puis, de toute façon, elle cherche aussi ailleurs, à son rythme, en s’accordant la liberté d’apparaître et de disparaître quand elle l’a décidé (comme elle le fait avec Liam, un jeune musicien un peu lunaire). 

Face à ça, Clyde agit comme un contrepoint à Mac : il représente une stabilité possible, une douceur nouvelle, une forme d’attachement peut-être plus sereine. Et pourquoi pas, une relation moins toxique, plus simple, sans drame. Mais, le truc, c’est que Rob n’est pas sûre d’être prête à ça, vu qu’elle cohabite avec un gros dilemme : revivre ou reconstruire ?

Entre vinyles, errance et mélancolie new-yorkaise

En même temps, Rob ne semble pas hyper aidée par son environnement. En dehors du fait que Mac soit un pote de son frère, tout semble inviter Rob à se replonger dans son passé. Et puis, malgré les 8 millions d’habitant.e.s que compte New York, dont plus de 2 millions rien qu’à Brooklyn, la ville prend, dans High Fidelity, des allures de décor figé. Les rues ne sont pas hyper remplies. Son magasin de disques n’attire pas des masses de monde et elle y est souvent solo ou avec les mêmes personnes : Cherise et Simon, ses deux employé.e.s. Cette métropole, ainsi à la fois mi-cocon et mi-fantôme, devient l’écho parfait de son état intérieur.

Ses échanges avec les autres sont de plus régulièrement teintés de malentendus, de flottements, de distance. En manque total de connexions, elle nous parle, face caméra. Elle nous partage ce qu’elle ressent, ce qui lui passe par la tête. Allié.e.s dans son cheminement, nous devenons un des seuls liens directs qu’elle arrive à établir.

© HULU

Il y a comme une bulle autour de Rob, une solitude contemporaine, connue des trentenaires citadin.e.s, celleux qui ont l’impression d’être entouré.e.s sans toujours vraiment être connecté.e.s ; d’avoir des passions, des habitudes, des QG, mais vachement moins de certitudes. Je le sais, parce que j’en fais partie. Ces millénials collectionnent des trucs comme on garde les traces du passé et les regrets, un peu comme comme Rob qui classe ses vinyles : par ordre de douleur et de nostalgie.

Ce n’est pas anodin que des disques fassent ici office de refuge. C’est un objet qu’on garde, qu’on retourne, qu’on classe, qu’on ne jette pas, qui peut coûter très cher et/ou qu’on retrouve parfois enfoui - comme les souvenirs

La série joue d’ailleurs la carte du vintage, autant dans son esthétique que dans son atmosphère. C’est une manière de filtrer la réalité, probablement de la rendre plus supportable pour notre héroïne. Alors que bon, la nostalgie, c’est chouette, mais ça peut jouer des tours. Tout n’est pas réécoutable à l’infini sans distorsion.

Une série miroir d’une génération en vrac

Quoi qu’il en soit, Rob devient le reflet du malaise partagé d’une génération qui veut bouger sans se perdre, qui veut tout et son contraire. Difficile ici de ne pas penser à Fleabag, ou à Julie, dans Julie (en 12 chapitres).

Ces trois figures féminines modernes, qui vivent dans des grandes villes (Londres, Oslo et New York), sont à la fois pleines de contradictions et ressentent tout super fort. Fragiles et entières, chaotiques mais lucides, elles évoluent entre peur d’aimer et besoin de liberté. Parfois autodestructrices, cools et maladroites, elles doutent, merdent, recommencent.

Elles parlent aux spectateur.rice.s, littéralement pour Fleabag et Rob, créant une sorte de brèche dans le mur de la narration. Elles nous proposent un regard plus vrai, parfois cru, sur la complexité des relations humaines, ainsi que celle qu’on a avec soi-même.

Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier © OSLO PICTURES

High Fidelity avait déjà connu en 2000 une première adaptation et racontait en 1h44 les névroses d’un mec blanc hétéro, autocentré et misogyne. Sans passer par quinze mille chemins, ce film est daté et je ne l’ai pas aimé : je trouve qu’il reflète des attitudes patriarcales et sexistes, que ce soit dans la façon dont le protagoniste parle des femmes, les juge et leur attribue des rôles assez stéréotypés. 

Réactualisation nécessaire, la version en série de 2020 propose un regard queer, plus inclusif, plus complexe, plus juste, quoi. Elle inclut plus de voix et permet ainsi à plus de gens de se voir, de s’identifier. Et surtout, de sentir qu’iels ont leur place dans des histoires d’amour, de doute et/ou de reconstruction. 

Une bande-son  comme personnage

Cette série a aussi pour elle une très chouette bande originale. Tout bonnement une dinguerie, c’est un patchwork émotionnel, un mélange d’indie rock, de soul, de pop, de rap et de R&B, où se côtoient classiques oubliés, compositions et artistes émergent.e.s. Comme le dit cet article de Medium, cette soundtrack a été pensée par et pour les passionné.es de musique… mais c’est aussi une invitation pour les autres à le devenir.

Chaque morceau est choisi pour dire ce que les personnages taisent et pour nous prendre par la main quand les mots s’arrêtent. Exemple parmi d’autres, à la fin du premier épisode, alors qu’elle se sent déprimée et fume une cigarette dans son appartement tard dans la nuit, Rob met le vinyle de I Can't Stand the Rain d'Ann Peebles. Cette chanson, qui exprime une aversion de la pluie, évoque plus généralement une douleur en lien avec une relation perdue. La pluie qui “frappe la fenêtre” du refrain fait résonner la solitude de Rob dans tout son corps et agit comme un rappel constant du passé, celui qui ne la laisse pas en paix.

J’ai toujours trouvé ça absolument fascinant, d’ailleurs, ce pouvoir particulier que la musique a. On peut tous penser à des morceaux, qui font ressurgir des souvenirs, des émotions. C’est un phénomène très humain, qu’on voyait bien aussi avec le film Partir un jour, qui piochait dans le répertoire français à coups de petits plaisirs, désuets et coupables. 

C’est dans cet esprit que Rob, résume à merveille notre rapport à la musique en disant : “Making a playlist is a delicate art ” - “faire une playlist est un art délicat”. Déjà, ça peut être une action chargée d’émotions, mais ça résume en plus bien son approche de la musique comme langage émotionnel. Faire une playlist, c’est raconter une histoire sans avoir à parler. 

Et cette histoire-là, c’est la sienne, mais c’est du coup aussi un peu la nôtre.

© HULU

Au final, je pense que je me reconnais dans cette série, et pas seulement parce que je suis une millenial. Moi aussi, j’ai du mal à tourner certaines pages et je fais des playlists, entre autres quand je ne sais pas comment dire les choses. Et aussi, parce que Rob le dit si justement : “Music has saved my life, you know. So many times”. Je pense vraiment que la musique peut sauver des vies

Dans d’autres cas, elle donne du courage, elle tient compagnie lorsque l’on se sent seul.e. Elle habille le silence, elle transforme la peine en poésie. Ce qui est également incroyable, c’est qu’elle nous relie aux autres, tout en nous permettant de pleurer, de crier, de danser, de ressentir, quelque fois même de rire.

Alors, ce 40e article, c’est aussi pour ça : pour dire merci aux chansons qui m’ont tenue debout, celles qui ont recollé les morceaux quand plus rien ne semblait faire sens et celles qui me rappellent qui je suis. 

Merci aussi High Fidelity, même si tu n’as jamais eu le droit à une saison 2. Beaucoup le disent, c’est un gâchis que la série ait été annulée, et je suis d’accord. Mais ça veut aussi dire : pas de saison de trop, pas de virage raté

BREF. Pour finir, merci aussi à VOUS

J’ai fait un best-of de mes chansons préférées, que l’on entend au cours des dix épisodes. Cliquez ICI pour l’écouter !

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