Le vrai poids
God Help The Girl © Mk2 Diffusion/Findlay Productions Limited/Neil Davidson
TW : cet article parle de TCA (Troubles du Comportement Alimentaire) et contient des références à l'image corporelle.
L'autre jour, au boulot, on a eu une visite médicale.
Un truc banal : on prend ta tension, on te mesure, on te demande si tu fumes, tu dis non, un peu fièrement, parce que tu as célébré le 13 juillet dernier tes un an sans tabac. Bref, tout aurait dû rouler et j’aurais dû sortir de la pièce sans encombre.
C’était sans compter sur la dernière requête de la médecin : monter sur la balance. Je n’ai pas pu et me suis effondrée en larmes.
J’ai pleuré à gros sanglots parce que mon poids, je le connais sans le connaître. Parce que pour arrêter de haïr mon corps que, pendant dix ans, je jugeais “trop gros”, j’ai arrêté de me peser il y a maintenant neuf ans.
Avant ça, j’étais dans une spirale : je montais sur la balance deux fois par jour. Je comptais chaque calorie. Je mangeais à peine, voire pas du tout. Mon corps a fini par me le faire payer : absence de règles, des soucis de thyroïde, des carences diverses... Je pensais naïvement que le vide dans mon estomac finirait par alléger mon cœur. Spoiler : ça n’a jamais été le cas.
Par la suite, j’ai cru que si j’allais “mieux”, je n’avais plus trop le droit d’en parler, que ce mal-être n’était pas légitime si je pouvais encore rentrer dans mon jean. Et puis, selon les fichus standards de la société, je pourrais même sembler “OK”, vu que j’ai un corps qu’elle trouve acceptable. On m’a souvent dit que j’avais “de la chance”. Que je pouvais manger ce que je voulais, que je devrais bien plus me resservir. Parce que je suis “fine”, que j’ai “le ventre plat”.
Seulement, les troubles du comportement alimentaire n’ont pas de silhouette type. Ils se nichent dans les plis de nos pensées, dans les chiffres qui clignotent trop fort et dans le silence qu’on garde en souriant. Comme un coloc relou qui squatte épisodiquement le canapé de façon spontanée, et qui commente parfois mon apparence quand je passe devant un miroir ou une vitrine.
Aujourd’hui, j’essaie d’aimer mes jambes, en y ajoutant des tatouages. Parce qu’eux aussi, ils racontent une histoire. Une autre, celle d’un corps qu’on apprend à réhabiter. D’un regard qu’on apprend à adoucir - parce que, bloody hell, ce corps, il peut en faire, des choses incroyables. C’est finalement une histoire de réconciliation, d’élaboration d’une tendresse nouvelle envers moi-même.
Je n’écris pas ça pour me plaindre. Ni pour me justifier. Mais pour poser des mots sur un truc que je sais ressenti par d’autres. Il est là, le vrai poids qu’on porte : celui de la norme, de la comparaison, des injonctions qui collent à la peau. Celui des images avec lesquelles on a grandi, dont je parlais dans un précédent article.
Je n’ai pas de morale, ni de chute à cette histoire. Juste l’envie de dire que si toi aussi tu redoutes les balances et/ou les chiffres que tu ne veux plus voir… tu n’es pas seul.e. Et peut-être qu’à force de raconter nos histoires, de briser les silences et de réinventer les images qu’on a d’eux, on pourra tous apprendre à aimer ce corps, unique et vivant qu’on possède et qui nous porte chaque jour.
Et dans la fiction ?
Charlie et Nick dans Heartstopper © Netflix
En écrivant tout ça, je repense à God Help the Girl. Vraiment pas le film du siècle, mais il y a Eve, ce personnage un peu paumé, un peu lumineux, qui essaie de se reconstruire à l’aide de la musique. Réalisé par Stuart Murdoch, du groupe Belle and Sebastian, il évoque les TCA avec du recul, sans les glamouriser, sans les transformer en esthétisme chic, comme c’était le cas dans To the Bone avec Lily Collins.
Dans un autre univers, Charlie, dans Heartstopper, se bat aussi avec l’anorexie. Ce que la série (et probablement aussi la BD dont elle est adaptée ?) raconte très bien, sans drame gratuit ni scène choc, c’est que les troubles alimentaires ne sont pas toujours visibles. Et qu’il faut du temps, de la parole. De l’amour, aussi, le genre qui accompagne avec bienveillance.
Peut-être qu’on est pas mal à ressembler à Eve, à Charlie, à Cassie de Skins - qui fait croire qu’elle mange sans rien avaler - à essayer, parfois de façon bancale, de composer avec notre histoire. À mettre un peu de musique sur nos maux, à chercher comment habiter ce corps qu’on traîne et qu’on aime pas toujours très bien.
Alors, à défaut de solution miracle, je me dis que je peux déjà commencer par là : raconter, écouter et doucement recoller les morceaux.
Besoin d’en parler ? Si tu te reconnais dans ce témoignage, ou si quelqu’un de ton entourage est concerné.e, sache qu’il existe des espaces pour en parler, si tu le souhaites. Ils sont anonymes et gratuits.
Anorexie Boulimie Info Écoute – 09 69 325 900 (les lundi, mardi, jeudi et vendredi de 16h à 18h)
Fédération Française Anorexie Boulimie - www.ffab.fr (informations, adresses, orientation vers des structures près de chez toi)