Sweetpea : l’histoire d’une “good girl” poussée à bout
Sweetpea © 2024 Sky Studios Limited
Je viens de regarder Sweetpea. Rapidement, j’ai eu envie de vous en parler. Au cas où vous seriez en quête de reco série, vous voyez le truc ?
Je pensais lancer “juste un épisode”, un petit truc chill du soir avant de dormir. Résultat : j’ai englouti la saison entière en deux deux. Me voilà donc à vous écrire sur une jeune femme qui fait des listes. Pas des listes de courses, ni des bucket list. Oulah, non, non. Des listes de gens qu’elle aimerait tuer.
Adaptée du roman de l'autrice CJ Skuse, la série nous parle de Rhiannon, une jeune femme discrète et introvertie. Assistante dans un journal local, elle tente de se débrouiller dans des relations sociales et sentimentales chaotiques. Son enfance n’a pas été tendre : harcèlement au collège, mère partie... Lorsque son père décède, sa vie bascule. La douleur, la colère et le sentiment d’invisibilité qu’elle porte en elle depuis toujours lui explosent au visage. Peu à peu, en réponse à sa rage et ses frustrations, elle développe un penchant pour le meurtre. Chacun.e ses hobbies, me direz-vous.
La série commence là, dans un mélange d’humour noir, de malaise assumé et de satire sociale.
La good girl, produit du regard patriarcal
Rhiannon, à l’inverse de Villanelle dans Killing Eve, n’a pas été entraînée à tuer. Elle n’est pas non plus une tueuse née. Au contraire, on lui a toujours attribué une image de personne inoffensive, comme si elle ne pouvait faire aucun mal. Polie et docile, elle pourrait d’ailleurs cocher en apparence toutes les petites cases de la good girl.
Cet archétype récurrent dans romans, films et séries dépeint la jeune femme comme “innocente”, “sage” mais pas fade, douce mais pas faible, humble et “convenable”. Privée du droit de montrer ses contradictions, d’être drôle ou en colère, elle est cantonnée à une perfection impossible. Définie par son rapport aux hommes et n’existant que pour les autres, elle n’a, pour ainsi dire, jamais l’occasion de montrer sa complexité. Ce modèle normalise certains comportements attendus des femmes et renforce l’idée que douceur et soumission sont des qualités indispensables. Ce cliché prend parfois la forme du good girl gone bad, où une femme bascule dans la rébellion ou la violence - souvent pour créer du drame ou de la séduction - comme Amy dans Gone Girl ou Harley Quinn.
Ce qui rend Sweetpea assez chouette, c’est que Rhiannon échappe à ce schéma. Pas parce qu’elle devient “méchante”, mais parce que sa good girl intérieure se brise sous la répétition des frustrations et agressions qu’elle subit.
Ses actions sont une conséquence de son vécu, une réponse à une société qui l’a poussée à bout, pas un trait de caractère nouveau ou gratuit. Mais elle reste cabossée, vulnérable et seule.
Quand la violence parle à la place de la douleur
Sweetpea ne raconte donc pas la chute d’une fille parfaite. Elle raconte ce qu’il se passe quand une femme cesse d’être la projection des autres et qu’elle ose devenir un personnage principal, même si ce personnage est violent, contradictoire, moralement ambiguë.
La série démonte à coups de truelle ce trope pour en faire un commentaire féministe et satirique : qu’est-ce qu’on fabrique, socialement, quand on exige des femmes qu’elles soient irréprochables ? Il y a, de plus, quelque chose de cool dans le fait de montrer une femme qui ne s’excuse plus, qui lâche le masque, là où la société nous apprend à contenir, sourire et rester polie.
Sweetpea © 2024 Sky Studios Limited
Rhiannon tue parce qu’elle refuse de continuer à jouer le jeu. C’est brutal, tordu, immoral, mais c’est sa manière de dire non. Et la force de Sweetpea, c’est qu’elle nous fait presque aimer ce moment de bascule, où elle reprend enfin la narration. Son personnage en est donc intéressant, complexe. D’accord, et un peu perturbant.
Bien plus, selon moi, que Joe dans You, qui coche juste toutes les cases du “type dangereux/stalker”. Ce dernier incarne une forme perverse de romantisme. Il justifie ses obsessions comme des actes d’amour, rationalisant ses actes grâce à des délires érotomaniaques ; il croit vraiment qu’il “mérite” d’être avec la personne qu’il épie.
Do you see me now?
Ceci étant dit, on ne cautionne rien, évidemment. La série ne la défend jamais non plus. Mais on comprend pourquoi elle agit ainsi. On se reconnaît parfois dans ce qu’elle a absorbé pendant des années.
Elle a probablement un petit côté caricatural, mais peu importe. On compatit : au travail, elle est peu valorisée et infantilisée - son patron l’appelle quand même “Sweetpea” (“mon petit” en français). Sa sœur, qui vit en France, la calcule autant que la caissière du supermarché, c’est-à-dire pas du tout. Dans les transports, les hommes font du manspreading. Pour couronner le tout, son père meurt, puis son chien. Personne ne la voit, personne ne l’écoute, personne ne s’excuse, personne ne lui reconnaît rien. Je ne dis pas que j’agirais comme elle, mais qui pourrait, au bout d’un moment, ne pas avoir envie de tout niquer ?
Son environnement ne l’aide pas non plus. Tout se déroule à Carnsham, petite ville anglaise fictive, grise et suffocante, où rien ne semble arriver avant qu’elle mette un peu d’“ambiance”. Située à côté d’une grande route, symbole d’une vie qui circule sans elle, sa maison, trop grande et remplie de souvenirs plus ou moins bons, est défréchie. Sa chambre, figée dans le temps, avec des posters de chevaux et de Robert Pattinson époque Twilight, ne semble ni réconfortante, ni épanouissante.
Et puis, la mise en scène joue beaucoup sur des couleurs ternes, des cadrages serrés. Comme si l’univers entier conspirait pour rappeler à Rhiannon à quel point elle manque d’air.
Sweetpea © 2024 Sky Studios Limited
Bref, j’ai vraiment bien aimé Sweetpea. Pas au point de la placer dans mes séries de l’année, mais largement assez pour la recommander.
Elle raconte ce qu’on accumule sans rien dire. La fatigue d’être ignorée, la colère ravalée, la tristesse qui semble n’intéresser personne. Ce n’est pas méga spectaculaire, mais c’est terriblement vrai.
Et peut-être que c’est pour ça qu’elle m’a tenue en haleine. elle met en scène ce moment où l’on arrête d’être “sage”. Elle démontre également sans détour qu’une femme en colère n’est pas une anomalie, mais juste un produit du monde qui l’a façonnée.